• Quand vient le temps



    Le moment d'aimer



    On a vingt ans



    On veut tout croquer



    En même temps



     



    C'est le temps



    Entre deux baisers



    Des éternels serments



    C'est l'âge de se marier



    Pour avoir des enfants



     



    Et l'on a trente ans



    Un appartement



    Acheté à crédit



    Puis un amant



    Pour changer du mari



     



    Les enfants ont grandi



    Le mari bedonnant



    Fait des mots croisés



    Et l'on s'ennuie devant la télé



     



    Puis le temps vient



    Où l'on devient



    Pilier de patisserie



    Mémêre d'canari



    Ou de caniche nain



     



    Et il y a deux vieux



    Ridés et grincheux



    Ils somnolent tous deux ensemble.



    Leurs mains tremblent



    Pour boire le tilleul



    Tassés dans un fauteuil.



     



    Le temps leur fait du tort



    Et quand ils seront morts



    Retirés du décor de la vie



    On dira d'eux



    Ils furent heureux


    4 commentaires
  • I



    Ainsi, quand Mazeppa, qui rugit et qui pleure,
    A vu ses bras, ses pieds, ses flancs qu'un sabre effleure,
    Tous ses membres liés
    Sur un fougueux cheval, nourri d'herbes marines,
    Qui fume, et fait jaillir le feu de ses narines
    Et le feu de ses pieds;



    Quand il s'est dans ses nœuds roulé comme un reptile,
    Qu'il a bien réjoui de sa rage inutile
    Ses bourreaux tout joyeux,
    Et qu'il retombe enfin sur la croupe farouche,
    La sueur sur le front, l'écume dans la bouche,
    Et du sang dans les yeux,



    Un cri part; et soudain voilà que par la plaine
    Et l'homme et le cheval, emportés, hors d'haleine,
    Sur les sables mouvants,
    Seuls, emplissant de bruit un tourbillon de poudre
    Pareil au noir nuage où serpente la foudre,
    Volent avec les vents !



    Ils vont. Dans les vallons comme un orage ils passent,
    Comme ces ouragans qui dans les monts s'entassent,
    Comme un globe de feu;
    Puis déjà ne sont plus qu'un point noir dans la brume,
    Puis s'effacent dans l'air comme un flocon d'écume
    Au vaste océan bleu.



    Ils vont. L'espace est grand. Dans le désert immense,
    Dans l'horizon sans fin qui toujours recommence,
    Ils se plongent tous deux.
    Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes,
    Villes et tours, monts noirs liés en longues chaînes,
    Tout chancelle autour d'eux.



    Et si l'infortuné, dont la tête se brise,
    Se débat, le cheval, qui devance la brise,
    D'un bond plus effrayé
    S'enfonce au désert vaste, aride, infranchissable,
    Qui devant eux s'étend, avec ses plis de sable,
    Comme un manteau rayé.



    Tout vacille et se peint de couleurs inconnues
    Il voit courir les bois, courir les larges nues,
    Le vieux donjon détruit,
    Les monts dont un rayon baigne les intervalles;
    Il voit; et des troupeaux de fumantes cavales
    Le suivent à grand bruit.



    Et le ciel, où déjà les pas du soir s'allongent,
    Avec ses océans de nuages où plongent
    Des nuages encor,
    Et son soleil qui fend leurs vagues de sa proue,
    Sur son front ébloui tourne comme une roue
    De marbre aux veines d'or.



    Son œil s'égare et luit, sa chevelure traîne,
    Sa tête pend; son sang rougit la jaune arène,
    Les buissons épineux;
    Sur ses membres gonflés la corde se replie,
    Et comme un long serpent resserre et multiplie
    Sa morsure et ses nœuds.



    Le cheval, qui ne sent ni le mors ni la selle,
    Toujours fuit, et toujours son sang coule et ruisselle,
    Sa chair tombe en lambeaux;
    Hélas ! voici déjà qu'aux cavales ardentes
    Qui le suivaient, dressant leurs crinières pendantes,
    Succèdent les corbeaux !



    Les corbeaux, le grand-duc à l'œil rond, qui s'effraie,
    L'aigle effaré des champs de bataille, et l'orfraie,
    Monstre au jour inconnu,
    Les obliques hiboux, et le grand vautour fauve
    Qui fouille au flanc des morts, où son col rouge et chauve
    Plonge comme un bras nu !



    Tous viennent élargir la funèbre volée;
    Tous quittent pour le suivre et l'yeuse isolée
    Et les nids du manoir.
    Lui, sanglant, éperdu, sourd à leurs cris de joie,
    Demande en les voyant : Qui donc là-haut déploie
    Ce grand éventail noir ?



    La nuit descend lugubre, et sans robe étoilée.
    L'essaim s'acharne, et suit, tel qu'une meute ailée,
    Le voyageur fumant.
    Entre le ciel et lui, comme un tourbillon sombre,
    Il les voit, puis les perd, et les entend dans l'ombre
    Voler confusément.



    Enfin, après trois jours d'une course insensée,
    Après avoir franchi fleuves à l'eau glacée,
    Steppes, forêts, déserts,
    Le cheval tombe aux cris des mille oiseaux de proie,
    Et son ongle de fer sur la pierre qu'il broie
    Éteint ses quatre éclairs.



    Voilà l'infortuné gisant, nu, misérable,
    Tout tacheté de sang, plus rouge que l'érable
    Dans la saison des fleurs.
    Le nuage d'oiseaux sur lui tourne et s'arrête;
    Maint bec ardent aspire à ronger dans sa tête
    Ses yeux brûlés de pleurs.



    Eh bien ! ce condamné qui hurle et qui se traîne,
    Ce cadavre vivant, les tribus de l'Ukraine
    Le feront prince un jour.
    Un jour, semant les champs de morts sans sépultures,
    Il dédommagera par de larges pâtures
    L'orfraie et le vautour.



    Sa sauvage grandeur naîtra de son supplice.
    Un jour, des vieux hetmans il ceindra la pelisse,
    Grand à œil ébloui;
    Et quand il passera, ces peuples de la tente,
    Prosternés, enverront la fanfare éclatante
    Bondir autour de lui !



    II



    Ainsi, lorsqu'un mortel, sur qui son dieu s'étale,
    S'est vu lier vivant sur ta croupe fatale,
    Génie, ardent coursier,
    En vain il lutte, hélas ! tu bondis, tu l'emportes
    Hors du monde réel, dont tu brises les portes
    Avec tes pieds d'acier !



    Tu franchis avec lui déserts, cimes chenues
    Des vieux monts, et les mers, et, par delà les nues,
    De sombres régions;
    Et mille impurs esprits que ta course réveille
    Autour du voyageur, insolente merveille,
    Pressent leurs légions.



    Il traverse d'un vol, sur tes ailes de flamme,
    Tous les champs du possible, et les mondes de l'âme;
    Boit au fleuve éternel;
    Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée,
    Sa chevelure, aux crins des comètes mêlée,
    Flamboie au front du ciel.



    Les six lunes d'Herschel, l'anneau du vieux Saturne,
    Le pôle, arrondissant une aurore nocturne
    Sur son front boréal,
    Il voit tout; et pour lui ton vol, que rien ne lasse,
    De ce monde sans borne à chaque instant déplace
    L'horizon idéal.



    Qui peut savoir, hormis les démons et les anges,
    Ce qu'il souffre à te suivre, et quels éclairs étranges
    A ses yeux reluiront,
    Comme il sera brûlé d'ardentes étincelles,
    Hélas ! et dans la nuit combien de froides ailes
    Viendront battre son front ?



    Il crie épouvanté, tu poursuis implacable.
    Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l'accable
    Il ploie avec effroi;
    Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe.
    Enfin le terme arrive... il court, il vole, il tombe,
    Et se relève roi !

    Victor Hugo

    Mai 1828.


    4 commentaires
  • Ma petite compatriote,


    M'est avis que vous veniez ce soir


    Frapper à ma porte et me voir.


    Ô la scandaleuse ribote


    De gros baisers - et de petits,


    Conforme à mes gros appétits !


    Mais les vôtres sont ils si mièvres ?


    Primo, je baiserai vos lèvres,Toutes ! 


    C'est mon cher entremets


    Et les manières que j'y met,


    Comme en toute chose vécues,


    Sont friandes et convaincues.


    Vous passerez vos doigts jolis


    Dans ma flave barbe d'apôtre


    Et je caresserai la votre,


    Et sur votre gorge de Lys,


    Où mes ardeurs mettront des roses,


    Je poserai ma bouche en feu,


    Mes bras se piqueront au jeu,


    Pâmés autour des bonnes choses


    De dessous la taille et plus bas,


    Puis mes mains,  non sans fols combats


    Avec vos mains mal courroucées,


    Flatteront de tendres fessées


    Ce beau derrière qu'étreindra


    Tout l'effort qui lors bandera


    Ma gravité vers votre centre...


    A mon tour je frappe. Ô dis : Entre !



     

    Paul Verlaine

    votre commentaire
  •  


    ... C'est qu'ils portent en eux, les arbres fraternels,
    Tous les débris épars de l'humanité morte
    Qui flotte dans leur sève et, de la terre, apporte
    A leurs vivants rameaux ses aspects éternels.

    Et, tandis qu'affranchis par les métamorphoses,
    Les corps brisent enfin leur moule passager,
    L'Esprit demeure et semble à jamais se figer
    Dans l'immobilité symbolique des choses.


     Armand Sylvestre (1837-1901)



     


    2 commentaires

  • Le premier moment de l'amour


    Il est sacré pour moi, c'est mon premier beau jour,

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />Le seul dont je me plaise à fêter le retour,

    Ce jour heureux où ta présence

    Ouvrit mon cœur paisible au trouble de l'amour,  

    Et d'un bien inconnu m'apporta l'espérance.


    J'assistais, attentive, à ce concert fameux

    Où de Saint-Huberty de la voix mélodieuse, 

    Où du célèbre Raul la flûte harmonieuse


    Des transports de Vénus exhaltaient tous les feux.


    Muette, étonnée, attendrie,


    Je m'abandonnais doucement 


    A cette vague rêverie


    Qui pour une âme neuve est presque un sentiment.


    Un son voluptueux qui meurt à mon oreille


    Me fait tressaillir malgré moi :


    Je lève mes regards; ils s'arrêtent sur toi.


    Je doute un instant si je veille.


    Ce front majestueux, ce regard séducteur,


    Et ce sourire plein de douceur,


    Et cette auréole de gloire


    Dont resplendit l'amant des filles de Mémoire,


    Portent le délire en mon cœur.

    Que ne va point rêver ton amante trop vaine !

    Je crois d'abord, je crois que le maître des dieux,


    Revêtant une forme humaine,


    Pour m'éblouir quitte les cieux.


    Que dis-je ? Jupiter semble moins radieux

    Alors que, triomphant d'une nymphe éperdue,

    Sur son char orgueilleux il sillonne la nue;

    Mars, du sein de Cypris s'élançant au combat, 

    A moins de grâce, moins d'éclat.


    Délicieusement émue,

    En silence sur toi j'ose attacher ma vue.

    Mais, ô combien s'accroit mon désordre enchanteur,

    Lorsque, cédant aux voeux d'un monde admirateur,

    Ta voix, plus douce encor qu'une douce musique,


    Nous révèle Apollon, qui sur sa lyre d'or


    Des beautés de son art déroule le trésor !


    Pour te mieux écouter, je retiens mon haleine.


    Tu cesses de chanter, une ivresse soudaine

    Fait circuler au loin un murmure flatteur :

    Chaque applaudissement retentit dans mon coeur ;

    C'est là que sont gravés et tes vers et toi-même.

    Dieux ! combien je jouis d'admirer ce que j'aime,


    D'entendre son éloge en tous lieux répété,


    Et de sentir déjà ton immortalité !


    Hélas ! Ce seul bonheur permis à ma tendresse,


    J'en veux jouir du moins jusqu'à mon dernier jour.


    Je dois te cacher mon amour;


    Mais je le chanterai sans cesse


     

    <o:p> </o:p>ADELAÏDE DUFRENOY (1787)

    1 commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique